Macky Sall face à la presse: Décryptage du discours !

L’attente fut longue et crispante ! L’annonce de l’adresse à la nation du Président de la République Macky SALL ce jeudi 22 février 2024 à 19 heures, finalement réajustée à 19 heures 30 minutes, était scrutée et redoutée.

Les raisons de tels sentiments se mesurent à l’aune des enjeux de l’heure pour notre Pays, le Sénégal. Rarement, depuis 1963, une élection présidentielle, on a n’en organisé onze (11) sans discontinuer, n’a été autant chargée d’appréhensions. Sans trop insister sur le format retenu, entretien, en direct, avec certains organes de presse (RTS, ITV, SENEWEB), ni sur les règles en matière de communication, il nous semble possible de nous arrêter sur quatre points saillants du discours. D’abord, les défiances envers la Décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 (I). Ensuite, les convictions fortes du Président de la République (II). Les incertitudes aiguës relevées (III) et enfin, des incohérences manifestes (IV).

I- Les défiances envers la Décision n°1/C/2024 du 15 février 2024

Faisant suite à la Décision n° 1/C/2024 en date du 15 février 2024 du Conseil constitutionnel, le Président Macky SALL, à travers son Ministre, porte-parole et Coordonnateur de la Communication, Yoro DIA, semblait donner des garanties. La diligence notée dans la réaction, le lendemain de la Décision, le 16 février 2024, en est un témoignage rassurant. Le contenu du communiqué conforte également cette perception. Tout tendait à lever les doutes sur la volonté du Président de la République de se plier aux prescriptions de la Décision des 6 sages constitutionnels présents. Le 3 e paragraphe du communiqué de la présidence de la République est éloquent. Sa rédaction est saisissante : « SEM le président de la République entend faire pleinement exécuter la Décision du Conseil constitutionnel ». Cependant, après 7 jours d’attente interminables, la sortie du Président Macky SALL, sur plusieurs aspects, révèle des défiances envers la Décision du Conseil constitutionnel du 15 février 2024 ;

 Premièrement, « les autorités compétentes » renvoient clairement aux autorités en charge de l’organisation présidentielle. Lors du dernier Conseil des ministres, en date du 21 février 2024, le Président Macky SALL avait clairement identifié les autorités en question : le Ministre de l’intérieur, le ministre des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur le Ministre des Finances et du Budget, la CENA et les autorités administratives (CNRA, etc.) ;

 Deuxièmement, le « dialogue » invoqué par le Président Macky SALL, n’apparaît nulle part dans la Décision du Conseil. En liant le processus électoral à la nécessité d’un dialogue, le Président Macky SALL rajoute une condition non prévue par les juges constitutionnels ;

 Troisièmement, à propos de la notion de « meilleurs délais », le Président estime que chacun comprend ces termes comme il peut. A notre sens, « les meilleurs délais », doivent être entendus comme des délais qui ne sauraient sortir de la date butoir du 2 avril 2024 ;

 Quatrièmement, « Il ne m’appartient pas de fixer la date de l’élection » : ceci est en porte-à-faux avec les dispositions du Considérant n° 20 de la Décision n° 1/C/2024 ; le Président de la République substitue sa propre appréciation à celle du Conseil constitutionnel ;

II- Les convictions fortes du Président Macky SALL

 Il n’y aura pas d’élection d’ici le O2 avril 2024 ;

 Il va falloir réfléchir sur une période de transition qui sera menée par le Président-sortant (Macky SALL) ;

 Le dialogue est une obligation ;

 Seul un large consensus pourrait accélérer le processus (Décret fixant la nouvelle date de l’élection présidentielle ; Décret portant convocation du collège électoral) ;

 Le décret ne peut être pris avant la fin de la consultation nationale ;

 Si un consensus n’est pas trouvé, le dernier mot reviendra au Conseil constitutionnel (arbitre constitutionnel) ;

 « Je ne démissionne pas, je vais aller jusqu’au terme de mon mandat » (Président Macky SALL) ;  La vacance de la Présidence de la République n’est pas d’actualité ; III- Des incertitudes aiguës

 Pour la concertation nationale, on est passé de deux points précis (la date de l’élection présidentielle ; l’après 2 avril 2024), à un glissement vers la possibilité de rabattre les cartes en reprenant tout le processus électoral (processus ouvert, transparent et inclusif) ;

 L’incertitude relative à la possibilité de pouvoir tenir l’élection présidentielle dans les délais prescrits par la Constitution et le Conseil constitutionnel. ‘’Je ne pense pas que l’élection puisse se tenir d’ici le 02 avril 2024 » (Macky SALL) ;

 La méthodologie du Président Macky : on met en place une concertation nationale obligatoire ; on espère un consensus national pour prendre les mesures appropriées ; en cas de désaccord dans le cadre du dialogue le Président s’en remettra exclusivement au Conseil constitutionnel ;

 Une période de transition aux contours flous semble inévitable pour le Président Macky SALL. Vraisemblablement, il se propose à gérer cette période ;

 La terminologie utilisée est illustrative de ces incertitudes. Dans le désordre on peut évoquer : « Prenons le temps » ; « on verra ; « le gouvernement y travaille » ; « on n’a pas encore trouvé les mécanismes d’une élection inclusive, transparente et ouverte » ; « elle (la date) aurait pu être fixée » ; « Patienter » ; « on verra » ; «si » ;  Il n’y aura pas de vide, de vacuité du pouvoir ;

 Si le dialogue décide qu’il ne faut pas se précipiter pour ne pas faire d’erreurs on appréciera ;

 Il ne peut y’avoir de successeur sans élection, le pays ne peut rester sans Président de la République. Il évoque, dans la foulée, l’ambiguïté de l’article 36, alinéa 2 de la Constitution ; IV- Des incohérences manifestes :

 « Mon mandat s’arrête le 2 avril 2024, mais une transition est inévitable » (Président Macky SALL);  Il fait la distinction, la dichotomie, entre l’élection et la fin du mandat ;

 « La date on aurait pu la fixer, mais je m’en remets au résultat de la concertation » (Président Macky SALL) ;

 

 

Fait à Bargny, le 23 /02/2024

Par Ameth NDIAYE, Maitre de Conférences Titulaire (CAMES)

Responsable des Masters I et II (Droit et Administration des Collectivités territoriales/DACT/UCAD)

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