Sommes-nous en train de faire dire aux dispositions constitutionnelles de l’article 36 ce qu’elles n’ont jamais prévu ? L’actualité récente semble nous rediriger et nous installer, avec regret, dans ce débat dont on aurait pu nous faire l’économie.
A un moment où tous les regards sont tournés vers les mesures et actions que compte entreprendre le Président de la République pour la mise en œuvre de la Décision n° 1/C/2024 du 15 février 2024, ce débat sur l’article 36 nous apparait superfétatoire et surabondant. Mais, puisqu’on nous y invite, nous avons décidé de prendre notre plume pour apporter notre contribution.
En effet, aujourd’hui, la double question sur le bout des lèvres des sénégalaises et sénégalais se résume en ces termes : A quand le début de la campagne électorale et la tenue du scrutin ?
Quid du statut du Président Macky Sall au-delà de la date tant redoutée du 02 avril 2024 ?
En 1963, pour la première fois, le constituant dérivé aménage un nouvel article ainsi libellé :
-Alinéa 1 er : « Le Président de la République élu entre en fonction après la proclamation définitive de son élection et l’expiration du mandat de son prédécesseur. »
-Alinéa 2 : « Le Président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur ».
A la faveur de la Loi n°78-60 du 28 décembre 1978 modifiant la Constitution, l’article 30 de la Constitution s’est vu densifiée d’un alinéa 3 ainsi libellé : « Au cas où le Président de la République élu décède, se trouve définitivement empêché ou renonce au bénéfice de son élection avant son entrée en fonction, il est procédé à de nouvelles élections dans les quarante- cinq jours qui suivent ».
Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution de 2001, ces dispositions trouvent leur siège à l’article 36 et demeurent encore inchangées. Au-delà de ce bref rappel de l’archéologie de l’article 36 de la Constitution, il devient possible d’en délivrer les véritables soubassements.
A notre avis, une bonne compréhension des dispositions de l’article 36 de la Constitution nécessite de porter un regard attentif sur son environnement général (I) et sur sa structure propre (II).
I- L’environnement général de l’article 36
L’article 36 de la Constitutionne tombe pas du ciel, il ne naît pas non plus des choux. A la vérité, il s’insère dans un environnement plus global qui lui donne tout son sens. Il fait partie intégrante du Titre III de la Constitution de 2001, intitulé « Du Président de la République ».
Comment pourrait-on détacher sa bonne compréhension d’une lecture combinée des articles précédents 29, 31, 34 et 35 de la Constitution.
Au regard de l’alinéa 2 de l’article 29, le décès d’un des candidats entraîne le dépôt de nouvelles candidatures et cela à tout moment. Dans ce cas de figure, le Conseil constitutionnel reporte l’élection à une nouvelle date (alinéa 3).
L’article 31, alinéa 2, quant à lui, organise les modalités de mise en œuvre de la vacance et la tenue du scrutin dans les soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après constatation de la vacance par le Conseil constitutionnel. La fixation d’une nouvelle date du scrutin est clairement aménagée par l’article 34 de notre Charte fondamentale.
En son alinéa 4, l’article 34 dispose que : « Dans les cas précédents, le Conseil constitutionnel constate le décès, l’empêchement définitif ou le retrait et fixe une nouvelle date du scrutin. ». Ces deux cas sont ceux prévus aux alinéas 2 et 3 dudit article. L’article 5 vient renforcer ce dispositif. Son alinéa 5 prévoit la possibilité d’une annulation de l’élection. Dans ce cas, « il est procédé à un nouveau tour du scrutin dans les vingt et un jours francs qui suivent ».
II- La structure propre de l’article 36:
A la suite des articles 29, 31, 34 et 35 de la Constitution, l’article 36 apparait comme leur prolongement, comme la suite logique desdits articles le précédant dans une symphonie parfaite. Il tire les conséquences de la mise en œuvre achevée du processus enclenché par ces quatre articles. L’alinéa 1 de l’article 36 nous renseigne sur deux choses essentielles et intrinsèquement liées.
D’une part, l’entrée en fonction du Président nouvellement élu est assujettie à la condition de la proclamation définitive de son élection (par les soins du Conseil Constitutionnel).
D’autre part, cette entrée en fonction du Président nouvellement élu est tributaire de l’expiration du mandat de son prédécesseur.
En réalité l’article 36, alinéa 2 prévoit ce moment de flottement entre l’élection du nouveau Président et la date d’expiration du mandat du Président en exercice, figé dans le marbre constitutionnel. Ainsi, proclamé définitivement Président élu de la République du Sénégal par le Conseil constitutionnel dans sa Décision du 30 mars 2012 (Décision n° 19/E/2012 du 30 mars 2012), Macky SALL n’est entré en fonction que le 3 avril 2012, après sa prestation de serment.
L’analyse des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 36 corrobore cette perception. Aux termes de celui-ci, même dans l’hypothèse où le Président de la République élu viendrait à décéder où se trouverait empêché, où même renoncerait au bénéfice de son élection avant son entrée en fonction, ce sont les dispositions de l’article 31, alinéa 2, qui se mettraient en branle.
Autrement dit, c’est le Président de l’Assemblée nationale qui prendrait le relais en organisant de nouvelles élections dans un délai de 2 à 3 mois. En effet, le Président sortant serait définitivement empêché. Tout bien considéré, les dispositions de l’article 36 de la Constitution apparaissent avec netteté. Elles réglementent clairement cette période contenue entre l’attente de la prestation de serment du Président de la République devant le Conseil constitutionnel et le maintien en fonction du Président en exercice.
L’impossibilité pour le premier d’entrer en fonction coïncide avec l’impérieuse nécessité pour le second d’aller jusqu’au terme de son mandat. L’un dans l’autre, ces deux mécanismes permettent de garantir la continuité de la fonction présidentielle et neutralise toute idée de sa vacuité.
Fait à Bargny, le 07 février 2024
Par Ameth NDIAYE Maitre de Conférences Titulaire (CAMES)
Responsable des Masters I et II (Droit et Administration des Collectivités territoriales/DACT/UCAD)