A Dearborn, dans le nord des Etats-Unis, il n’est pas rare d’être accueilli en arabe dans les magasins aux enseignes bilingues. Ici de nombreux habitants disent ressentir la guerre à Gaza dans leur chair, et ils comptent bien sanctionner dans les urnes le président Joe Biden pour son soutien à Israël.
Devant une mosquée de cette banlieue de Detroit à la population en grande partie musulmane et d’origine arabe, Samra’a Luqman distribue des prospectus. « Votez pour la Palestine. Pas pour Biden », lance la jeune femme aux fidèles sortant de la grande prière hebdomadaire du vendredi. « Bien sûr », répondent plusieurs d’entre eux. Samra’a Luqman est l’une des responsables de la campagne « Abandon Biden » pour le Michigan, l’un de ces Etats-clés qui peuvent faire basculer les présidentielles et où chaque voix compte. Son objectif est simple: faire perdre Joe Biden, qui brigue un second mandat le 5 novembre.
Le démocrate « n’est pas (seulement) complice du génocide, il commet le génocide. Il le finance » en fournissant de l’aide à Israël, assène la militante d’origine yéménite. En 2020, face au républicain Donald Trump, M. Biden l’avait emporté dans le Michigan. Mais un récent sondage le place derrière son rival cette année. « Le seul moyen pour que je vote Biden, ce serait qu’il ressuscite les 30.000 personnes mortes » à Gaza, lâche Mme Luqman. La guerre a été déclenchée le 7 octobre par une attaque sans précédent du Hamas en Israël qui a fait plus de 1.160 morts, majoritairement des civils. L’offensive israélienne menée en représailles a fait 29.313 morts, en grande majorité des civils, selon le ministère de la Santé à Gaza.
« Jamais » Biden En cette froide après-midi, Samra’a Luqman exhorte les électeurs à ne surtout pas cocher la case « Biden » lors de la primaire démocrate du 27 février dans le Michigan, mais à voter blanc ou à écrire « Libérez la Palestine » sur le bulletin. Il s’agit de « faire pression » sur le président pour qu’il réclame un « cessez-le-feu permanent », et de lui montrer qu’un électorat qui a contribué à le porter au pouvoir peut aussi lui retirer son soutien, affirme Abbas Alawieh, porte-parole de « Listen to Michigan » (Ecoutez le Michigan). Cette initiative, qui a lancé l’appel à boycotter M. Biden lors de la primaire, a été formée, entre autres, par Layla Elabed, une soeur de l’élue démocrate d’origine palestinienne Rashida Tlaib.
« Dans cette communauté, beaucoup de personnes sont directement affectées par la guerre, lorsqu’un conflit financé par notre pays se produit au Moyen-Orient », explique le stratège démocrate né au Liban, qui a été directeur de cabinet d’élus de gauche à Washington pendant plusieurs années. Aujourd’hui les démocrates risquent « de perdre cette communauté. Pas seulement en novembre, mais peut-être pour une génération », avertit Abbas Alawieh. Mohamed Alemara, étudiant en médecine de 23 ans d’origine irakienne, est venu assister à une réunion mi-religieuse mi-spirituelle dans une école. En 2020, il a voté Biden. « La pire erreur de ma vie », dit-il, affirmant se sentir « coupable par association » de ce qui se passe à Gaza. Pour le 5 novembre, « c’est tout vu ».
« Jamais » il ne votera de nouveau Biden, déclare-t-il. Bien qu’elle ait voté démocrate la dernière fois, Fatima Elzaghir, infirmière de 27 ans, se dit prête à donner sa voix à Trump. « Je crois que je vais choisir le moindre mal et pour l’instant, le moindre mal c’est Trump », affirme-t-elle. « Appelez vos élus » Face à l’incompréhension que suscite souvent le choix de se reporter sur ou de laisser gagner celui qui a mis en place, pendant son mandat, un décret migratoire controversé ciblant des pays musulmans (le fameux « Muslim ban »), Samra’a Luqman répond être très consciente des enjeux. « Nous ne sommes pas stupides », dit-elle.
« Mon intention est de punir Biden. J’ai survécu à un +Muslim ban+, mais ces enfants à Gaza n’ont pas survécu à Joe Biden ». Abbas Alawieh prend une longue inspiration avant de s’adresser à ceux qui s’interrogent. « Comment osez-vous me dire +Oh, plus tard, Trump ce sera de votre faute+? Ne venez pas me voir. Appelez vos élus. Dites-leur que vous voulez un cessez-le-feu (…). Une fois que nous aurons mis fin au carnage, nous pourrons parler des conséquences politiques », dit-il fermement. Dans cette région berceau de l’industrie automobile, de nombreux ouvriers, souvent syndiqués et marqués à gauche, font aussi part de leur colère.
Merwan Beydoun travaille dans une aciérie et fait partie du grand syndicat UAW, qui a annoncé appuyer le chef de l’Etat. « Furieux » du soutien de M. Biden à Israël, M. Beydoun a publiquement annoncé qu’il cesserait de contribuer au fonds d’action politique de l’UAW, mais reste syndiqué. Longtemps « très pro-démocrate », fervent partisan du mouvement syndical, il préfère ne pas encore dire ce qu’il fera le jour de la présidentielle. Mais Joe Biden « doit se réveiller » et changer de politique s’il veut son vote, dit-il. Mardi, l’administration Biden a encore opposé un veto à une résolution onusienne réclamant un cessez-le-feu immédiat.