« Etre fidèle au foyer des ancêtres, ce n’est pas en conserver les cendres, mais en transmettre la flamme »
On ne vivrait certainement pas dans ce tumulte politico-juridico-médiatique si le Président Macky Sall avait fait sienne cette affirmation du célébre leader socialiste français, Jean Jaurès.
En effet, longtemps perçu comme le porte-étendard de la vitrine démocratique en Afrique de l’Ouest, le Sénégal depuis hier semble arpenter, inexorablement, la pente de la régression démocratique.
Lors d’une rencontre organisée par la jeunesse républicaine à Mbodiène (village situé sur la Petite-Côte), en fin 2011, l’actuel Président-sortant Macky Sall semblait donner les gages d’une gouvernance « sobre et vertueuse » et avait fini de nous convaincre qu’il mettrait toujours en avant la « Patrie » avant le « parti APR ».
Après plus d’une décennie à la tête de notre Pays, force est de constater, tragiquement, que le Président Sall n’a jamais « fait la promesse de tenir ses promesses ».
Son allocution furtive, caractéristique d’un vol à l’arrachée, de ce samedi 03 février 2024, à quelques heures de l’ouverture officielle de la campagne électorale et à vingt-et-un (21) jours de l’élection présidentielle, en est l’ultime illustration.
Sans prétendre à l’exhaustivité, il est possible de retenir les leçons ci-après.
Soixante-trois (63) ans après la première élection présidentielle du Sénégal indépendant, après 11 élections présidentielles sans discontinuité: (1963, 1968, 1973, 1978, 1983, 1988, 1993, 2000, 2007, 2012, 2019), le Président Macky Sall vient de ravir la vedette aux Présidents Senghor, Diouf et Wade, ses prédécesseurs.
Des hypothéques et pesanteurs redoutables viennent compromettre la tenue de la douzième élection présidentielle
Des hypothéques et pesanteurs redoutables viennent compromettre la tenue de la douzième élection présidentielle avec son lot d’incertitudes. Il est difficile de conférer la même gravité à l’entorse de 1967 qui causât le report de l’élection présidentielle de deux mois. Les événements qui entouraient cette période trouble justifièrent que l’élection prévue en décembre 1967 n’a pu se tenir qu’en février 1968.
On est forcément interpellé par la légèreté des arguments avancés juridiquement par le Président Sall pour justifier cette déconvenue démocratique. Premièrement, on ne peut que relever l’hérésie juridique, consistant à rapporter uniquement le décret n° 2023-2083 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral (article LO 137 du Code électoral).
Quid du décret n° 2023-339 du 16 février 2023 fixant la date du scrutin au 25 février 2024 (article L. 63 du Code électoral)? Deuxièmement, l’abrogation du décret n° 2023-2083 postule certains errements juridiques.
De la compétence liée inscrite dans l’ADN de l’article 31 de la Constitution,
De la compétence liée inscrite dans l’ADN de l’article 31 de la Constitution, le Président Macky Sall s’octroie un pouvoir discrétionnaire en abrogeant ce qui relève d’une prescription constitutionnelle et en s’adossant exclusivement sur son pouvoir réglementaire.
La confusion entretenue est difficilement contestable et défie ouvertement notre Constitution et la Loi organique portant Code électoral. Inévitablement ces arguments pourront être reversés dans le dossier de saisine de la chambre administrative de la Cour suprême pour illégalité dudit décret. Celle-ci, pour l’urgence déclarée, pourra se prononcer à travers le référé mesures-utiles. La justice sénégalaise a une occasion historique pour se réconcilier avec son peuple meurtri et malmené injustement.
Reprenant Denis Diderot nous lui dirons qu’« à défaut d’avoir de bonnes lois, il nous faut de bons juges ». Troisièmement, l’article 42, alinéa 2, cette disposition inexploitée de la Charte fondamentale sénégalaise du 22 janvier 2001, après une longue survivance semble être promis à la résurrection par le Président Macky Sall.
Cette réplique de l’article 5 de la Constitution française du 04 octobre 1958 ne saurait très certainement se révéler suffisant pour fonder en bon droit un report/annulation du processus électoral. En s’appuyant essentiellement sur son rôle de garant « du fonctionnement régulier des institutions… », le président Macky Sall témoigne de l’exercice difficultueux de la volonté exprimée.
Pour rappel, un Président de Conseil constitutionnel s’est démis de ses fonctions, un Vice-président de ce même Conseil a été assassiné, les candidats Abdou Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall ont été exclus de façon discutée de l’élection présidentielle de 2019.
le candidat Ousmane Sonko a essuyé les foudres du Conseil constitutionnel.
Pour cette présente élection présidentielle, le candidat Ousmane Sonko a essuyé les foudres du Conseil constitutionnel. Malgré toutes ces situations inconfortables et péripéties le Sénégal n’a jamais manqué ce rendez-vous entre des candidats et leur peuple. Dès lors, arguer d’un dysfonctionnement institutionnel pour rompre de façon inédite ce moment nous semble peu opérante.
On est également en mesure de convoquer l’ingénierie juridique pour apprécier la volonté manifestée par le Président de la République de rester au pouvoir après la limite constitutionnelle du 02 avril 2024.
Grosse interrogation ! Techniquement, comment pourrait-il (Le Président Sall) proroger son propre mandat ? A notre humble avis, il ne dispose pas des ressources juridiques appropriées pour s’octroyer une prorogation de son mandat. Les juges constitutionnels sénégalais n’ont pas manqué de l’indiquer fortement dans leur œuvre prétorienne. Le Considérant 32 de la décision du Conseil constitutionnel (Décision n° 1/C/2016 du 12 février 2016) est suffisamment éloquent.
En ces termes, les juges constitutionnels déclarèrent : « Considérant, en effet, que ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée (c’est nous qui soulignons) ».
Alea jacta est, le sort en est jeté!
Alea jacta est, le sort en est jeté! Immanquablement cette précieuse jurisprudence servira de vade-mecum aux sept sages sénégalais. A titre de droit comparé les exemples sont multiples. Dix ans avant la retentissante décision sénégalaise, la Cour constitutionnelle béninoise avait indiqué la direction. Dans sa Décision du 08 juillet 2006 (DCC 06-074), elle apprécie le fond du dossier et relève dans son 31e considérant que : « la souveraineté nationale appartient au peuple et que les représentants ne peuvent la confisquer au moyen de la prorogation ».
En République Centrafricaine (RCA) la passe d’armes entre la Cour constitutionnelle et le Pouvoir exécutif fait encore écholalie. Le 05 juin 2020, l’Auguste juridiction rejetait un projet de révision constitutionnelle permettant au président de la République de rester au pouvoir au motif que « la Constitution exclut expressément la modification du nombre et de la durée du mandat présidentiel ».
A la lumière de toutes ces considérations, il nous semble pouvoir douter de la possibilité initiée par les parlementaires sénégalais pour faire bénéficier le Président de la République d’une prolongation de son mandat. L’impossibilité tient d’abord des dispositions de l’article 103, alinéa 7 de notre Constitution qui consacre les clauses d’éternité, d’intangibilité et de fixité de la durée du mandat présidentiel.
La supra-constitutionnalité de ces termes se passent de commentaires ! Mieux encore, même une loi de révision constitutionnelle adoptée par référendum ne saurait proroger la durée du mandat présidentiel. A la vérité, seuls les sept (7) juges constitutionnels sénégalais disposent de la prérogative constitutionnelle de fixer une nouvelle date pour l’élection présidentielle.
Rappelons d’ailleurs, que même dans ce cas de figure leur compétence se trouve enserrée dans les seuls cas prévus par les articles 29 et 34 de la Constitution. Gageons que du haut de sa politique jurisprudentielle, le Conseil constitutionnel sanctionnera toute velléité parlementaire tendant à reporter l’élection présidentielle ou à proroger le mandat présidentiel.
le mandat du Président Macky Sall s’achèvera le 02 avril 2024
Tout bien considéré, le mandat du Président Macky Sall s’achèvera le 02 avril 2024. Au-delà de cette date, le Président Sall perdra toute légalité et légitimité. Ses actes comme ceux de ses collaborateurs devront être estampillés du sceau de l’illégalité et de l’anti- constitutionnalité.
Là, démarre le coup d’Etat institutionnel malgré les gesticulations désespérées d’Umaro Embalo Sissoco.
« Le vent se lève, le temps s’achève, l’heure n’est plus aux litanies ! »
Fait à Bargny, le 4 février 2024
Par Ameth NDIAYE
Maitre de Conférences Titulaire (CAMES)
Responsable des Masters I et II (Droit et Administration des Collectivités Territoriales/DACT/UCAD)
Savoir dire non quand il le faut ça rehausse la dignité de l’individu. Je suis ébahi voir même
époustouflant de voir mon cher professeur constitutionnaliste brandir sa position par rapport à la situation désastreuse de notre chère nation. Omar DIOUF
Merci beaucoup très cher Prof. toujours heureux de vous lire tellement votre éloquence est agréable. Vos étudiants sont très fiers de vous 👏
Merci professeur pour ces explications éclairées et bien fondées autour de textes et décisions pertinentes, illustrants parfaitement la situation politique actuelle… Excellent comme toujours !!!